Eutrophisation du littoral en région tropicale : impact sur la composition de la matière organique des sols de mangrove

Localisation du site d’étude au Brésil. A : vue Google Earth montrant la région métropolitaine de Rio de Janeiro. B : Exemple de données de concentrations en chlorophylle déduites des images du satellite sentinelle-3a (European Space Agency)
Récif de moules sur la côte rocheuse en région extrêmement eutrophe
Site de mangrove le plus préservé (Mamangua, baie de Ilha Grande). Les trois sites sont dominés par les espèces Avicennia et Risophora
Période
2018
Equipe(s)
SOMAQUA
Type de financement
Intra-unité
Collaboration scientifique
Amérique du Sud
Contact(s)

Membres impliqués

Eutrophisation du littoral en région tropicale : impact sur la composition de la matière organique des sols de mangrove

Description

Le milieu littoral est composé d’une mosaïque d’écosystèmes interconnectés (estuaires, baies et lagunes), sous la pression croissante de diverses pollutions dont les rejets de nutriments par les grandes agglomérations où la population continue de croitre, notamment dans les pays du Sud. En effet, les taux d’épuration des eaux urbaines dans ces pays restent encore extrêmement faibles. Ainsi, l’azote et de phosphore s’accumulent dans les eaux et sédiments côtiers, ce qui conduit à des modifications drastiques du fonctionnement biogéochimique et écologique des milieux aquatiques. Au Brésil, l’état de Rio de Janeiro héberge plus de 12 Mhab principalement sur le littoral et, du fait des conditions climatiques tropicales (ensoleillement, stratification…), les eaux côtières les plus confinées sont extrêmement eutrophes avec des biomasses phytoplanktoniques dans la colonne d’eau pouvant excéder localement 500 µg L-1 de Chlorophylle a (Cotovicz et al. 2018). Par ailleurs, des communautés phytoplanktoniques spécifiques s’y développent avec une prédominance de dinoflagellés et de cyanobactéries filamenteuses (Villac et Tenenbaum 2010). Si l’eutrophisation s’est tout d’abord développée dans les baies et lagunes semi-fermée les plus proches des zones urbaines (Carreira et al. 2002 ; Borges et al. 2009), des images satellite récentes (Illustration #1) indiquent une propagation depuis ces baies vers le plateau continental et suggèrent que des écosystèmes situés à plus de 100km et jusqu’ici préservés, pourraient être eux-aussi bientôt impactés.

Les mangroves constituent le principal réservoir de carbone bleu dans les régions tropicales. Ces écosystèmes très productifs ont en effet la capacité d’évoluer sur de courtes périodes et de stocker du carbone sous forme de matière organique dans leurs sols. Ils sont aussi fortement sensibles aux modifications environnementales et aux pollutions ; on sait cependant peu de chose concernant l’impact de l’eutrophisation sur les stocks de matière organique dans les mangroves. Le dépôt, par la marée, de matériel phytoplanktonique sur les sols de mangrove a probablement un impact sur l’activité microbienne benthique et sur la quantité et la qualité de la matière organique préservée ou décomposée dans les sols. La matière d’origine phytoplanctonique pourrait y être en partie préservée, augmentant ainsi la capacité de l’écosystème à stocker du carbone bleu ; au contraire, elle pourrait y être décomposée du fait de sa grande biodégradabilité, stimulant ainsi l’activité microbienne hétérotrophe globale dans les sols et minéralisant une partie du carbone bleu issu de la mangrove. Cette seconde possibilité de déstockage de carbone bleu serait possible à travers un effet priming documenté depuis longtemps en milieu terrestre mais pas encore en milieu aquatique.

Cette proposition s’inscrit dans un projet plus ample initié en 2016 en collaboration avec l’Université Fédérale Fluminense (UFF) qui consiste à étudier l’ensemble des compartiments du cycle du carbone (organique et inorganique, pompage tidal et diagénèse, enfouissement) dans les sols de mangrove le long d’un gradient d’eutrophisation (Illustration #1). Le projet bénéficie d’un financement complémentaire des organes de recherche brésiliens (CNPq, CAPES et FAPERJ). Trois sites (eutrophe, mésotrophe et oligotrophe) ont été sélectionnés (Illustration #2) et sont visités régulièrement dans le cadre des travaux de deux thèses : Glenda Barroso sur les flux de CO2 des sols et les taux d’enfouissement (datation Pb210) dans les sédiments (2016-2019, co-direction Humberto Marotta / Gwenaël Abril) et Grazielle Nascimento sur les processus de diagénèse (2018-2021, co-direction Wilson Machado / Gwenaël Abril). Dans ce contexte, la présente proposition vise à appliquer des outils classiquement utilisés dans l’équipe RESAQUA (isotopes et acides gras) pour caractériser les sources et les transformations de la matière organique dans ces écosystèmes et les premiers maillons trophiques plus ou moins impactés par l’eutrophisation.

L’objectif est double : nous proposons tout d’abord de caractériser la matière organique sur des profils verticaux dans trois carottes de sols de mangrove en analysant les isotopes 13C et 15N ainsi que les acides gras, avec pour objectif de documenter les signatures en acides gras et préparer une future expérience plus élaborée sur l’effet priming. Et ensuite, nous allons tester le potentiel du contenu en acide gras (et isotope) des moules qui se développent sur la côte rocheuse à proximité de ces mangroves (Illustration #3), comme paramètre sentinelle de l’eutrophisation. En effet, ces filtreurs enregistrent dans leurs tissus les signatures du plancton dont ils se nourrissent et pourrait permettre de détecter dans le futur l’arrivée de l’eutrophisation sur les sites les plus préservés.

Cotovicz Jr. L.C., Knoppers B., Brandini N., Poirier D. Costa S.S.J. and Abril G. (2018) Predominance of phytoplankton-derived dissolved and particulate organic carbon in a highly eutrophic tropical coastal embayment (Guanabara Bay, Rio de Janeiro, Brazil). Biogeochemistry 137: 1–14

Villac, M.C.; Tenenbaum, D. R. The phytoplankton of Guanabara bay, Brazil. I. Historical account of its biodiversity. Biota Neotropica 10 (2): 271-293 (2010)

Borges, A. C., Sanders, C. J., Santos, H. L. R., Araripe, D. R., Machado, W. and Patchineelam, S. R.: Eutrophication history of Guanabara Bay ( SE Brazil ) recorded by phosphorus flux to sediments from a degraded mangrove area, Mar. Pollut. Bull., 58, 1750–1754, doi:10.1016/j.marpolbul.2009.07.025, 2009.

Carreira, R. S., Wagener, A. L. R., Readman, J. W., Fileman, T. W., Macko, S. a. and Veiga, Á.: Changes in the sedimentary organic carbon pool of a fertilized tropical estuary, Guanabara Bay, Brazil: an elemental, isotopic and molecular marker approach, Mar. Chem., 79(3-4), 207–227, doi:10.1016/S0304-4203(02)00065-8, 2002.

Mots Clés : Littoral tropical, eutrophisation, bio-indicateurs, mangrove, carbone bleu

Partenaires

Bastiaan Knoppers (Prof), Wilson Machado (Prof), Humberto Marotta (Prof), Luiz Carlos Cotovicz Jr (Post-doc), Glenda Barroso (Doctorante), Grazielle Nacimento (Doctorante) - Université Fédérale Fluminense, Programme de Géochimie