Adaptations sensorielles chez les crevettes hydrothermales profondes : Comparaison des facultés chimio- et thermo-sensorielles chez la crevette hydrothermale Mirocaris fortunata et la crevette côtière Palaemon elegans
Les crevettes de la famille Alvinocarididae sont emblématiques des sources hydrothermales de la Dorsale Médio-Atlantique. Bien que leurs adaptations physiologiques aux conditions physico-chimiques de l’environnement hydrothermal aient été assez largement étudiées, leurs facultés sensorielles ont reçu peu d’attention. Les mécanismes qui permettent aux crevettes de localiser les cheminées actives et de détecter leur habitat obscur sont énigmatiques. Il est supposé que les émissions de fluide hydrothermal leur servent de repère pour s’orienter. Parmi les indicateurs potentiellement utilisés par les crevettes, les composés chimiques du fluide et sa température sont considérés dans cette étude. Plusieurs approches ont été utilisées afin d’approfondir les connaissances sur les adaptations sensorielles des crevettes hydrothermales, qui pourraient présenter des facultés chimio- et thermo-sensorielles particulières pour détecter leur habitat. Le modèle principal est la crevette hydrothermale Mirocaris fortunata. L’espèce côtière Palaemon elegans a été utilisée comme modèle comparatif, pour lequel des différences avec M. fortunata pourraient refléter des adaptations de l’espèce hydrothermale à son environnement.
Ce travail présente une description détaillée du système olfactif des deux espèces. Des traits structuraux ont été utilisés pour inférer sur leurs facultés olfactives, notamment le nombre et les dimensions des sensilles aesthétasques olfactives situées sur les antennules, le nombre de neurones sensoriels olfactifs qui innervent les aeshtétasques, et le volume des lobes olfactifs dans le cerveau. Le système olfactif de M. fortunata est similaire à celui de P. elegans, à l’exception de la présence d’un important recouvrement bactérien des appendices antennaires chez l’espèce hydrothermale, qui pourrait avoir un rôle fonctionnel concernant leurs facultés chimio-sensorielles. Au niveau moléculaire, le co-récepteur ionotropique IR25a, impliqué dans la chimio-détection, a été identifié chez 4 espèces hydrothermales et chez P. elegans. Différents patterns d’expression d’IR25a dans les organes chimio-sensoriels sont discutés selon le mode de vie de chaque espèce. Des résultats préliminaires d’une étude transcriptomique sont aussi présentés et indiquent l’expression de plusieurs candidats chimio- et thermo-récepteurs chez les espèces hydrothermales.
Une nouvelle méthode d’électroantennographie a été mise au point afin de tester la détection de composés du fluide hydrothermal par les appendices antennaires des crevettes. Les réponses obtenues pour le sulfure, le fer et le manganèse sont discutées selon la pertinence de chaque composé pour la détection à courte ou longue distance du fluide hydrothermal. Plusieurs expériences à pression atmosphérique et in situ ont été réalisées afin d’étudier le comportement des espèces hydrothermale et côtière exposées à une odeur de nourriture, du sulfure ou des températures relativement chaudes (~20°C). Les tests d’attraction pour la nourriture et le sulfure n’ont pas été concluants pour l’espèce hydrothermale. En revanche, à la différence de P. elegans, M. fortunata est significativement attirée par un point chaud, ce qui suggère un rôle important de la thermodétection chez les crevettes hydrothermales pour s’orienter dans leur environnement.
L’ensemble des résultats contribue à l’état des connaissances sur la biologie chimio-sensorielle des crevettes hydrothermales, et apporte des bases substantielles pour de futures études sur leurs facultés chimio- et thermo-sensorielles et les adaptations sensorielles en milieu hydrothermal profond.
Mots-clefs : sources hydrothermales, Mirocaris fortunata, aesthétasques, chimio-détection, thermo-détection, sulfure, électroantennographie, biologie sensorielle